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4.5
S'il faut recevoir avec un peu de mesure et de distance critique ce qui constitue le coeur de la thèse de l'auteure - à savoir que la pensée cybernétique inaugurée par Wiener, ainsi que Shannon, et la théorie des systèmes élaborée par Bertalanffy, auraient motivé l'essentiel de la critique dite anti-humaniste de la figure moderne du sujet chez nombre d'auteurs, en particulier francophones (thèse d'autant plus difficile à soutenir que la critique contemporaine de la subjectivité trouve sa propre cohérence historique et logique chez Nietzsche et Heidegger, même s'il se trouve que ce dernier s'est également intéressé à la technique cybernétique) -, il reste que ce très chouette passage en revue des grands moments structuraliste (Levi-Strauss, Lacan) et post-structuraliste/post-moderne (Foucault, Lyotard, Derrida, Deleuze) de la philosophie d'expression francophone depuis la seconde guerre offre une lecture assez bien documentée et très riche, et surtout particulièrement suggestive, d'affinités décelables entre les auteurs phares de la période concernée, affinités que Lafontaine regroupe de manière un peu large sous la notion d'un "paradigme informationnel" dont le premier effet aurait été de contribuer ou d'accentuer - au travers de la valorisation des notions de code, de message, de communication, etc. - l'effacement du Sujet moderne. Et si les rapprochements opérés par l'auteur ne valent pas tout à fait preuves, il demeure que l'emploi de cette clef herméneutique pour relire les oeuvres issues de la "French theory" paraît extraordinairement fécond et de nature à renouveller l'interprétation (en tout cas la mienne, pour commencer!) de cette mouvance et de ses précurseurs (Lacan et Lévi-Strauss) tous deux mis en rapport, par l'entremise de Roman Jakobson, avec les fameuses conférences Macy, à l'origine de la pensée cybernétique. Ainsi, le champ balisé par cette lecture "cybernétique et systémique" (il y aurait également lieu d'étendre la catégorie un peu flottante au mot d'ordre constructiviste...) éclaire de manière parfois un peu rapide mais néanmoins judicieuse l'unité paradigmatique de textes qui constituaient auparavant / sans cela une sorte d'archipel (ou "mille plateaux", selon le titre choisi par Deleuze et Guattari).Alors certes, j'ai vu quelque part que François Cusset, auteur d'une étude de référence sur la French theory, trouve cette thèse/ cet ouvrage partial et orienté: Chacun se fera son avis. Il est par ailleurs à regretter que les deux derniers chapitres se perdent dans des élucubrations ou digressions oiseuses et bien "sociologiques" autour du cyberspace, de la secte de Raël, du clonage ou du transhumanisme, mais hormis ces faux pas de fin d'ouvrage, le texte et l'analyse, quoique visant à permettre une synthèse assez formelle ou de surface, n'en restent pas moins remarquables. Une lecture très stimulante.